Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simple connaissance. Bientôt, cependant, un si légitime ressentiment l’aidant à combattre de vagues regrets, elle reprit sans trop songer à lui le cours de ses occupations habituelles. Ou plutôt elle y songeait encore, mais comme à une rencontre passagère, à un personnage entrevu pendant quelques jours et qui sans dire un mot s’était perdu dans la foule, — perdu à jamais, selon toute probabilité. À moins qu’il n’épousât Molly Corney… Elle serait alors nécessairement une des filles d’honneur, et aurait ainsi la chance de le retrouver, le jour des noces. Au fond de toutes ces réflexions, il y avait pour Sylvia une sorte de chagrin humilié qui la fit se repentir de l’indifférence qu’elle avait témoignée à son cousin Philip, indifférence désapprouvée par sa mère et dès lors empreinte d’une indocilité coupable. Sylvia fut ainsi conduite à redemander les leçons qui l’avaient tant contrariée au début, et peu à peu, en se faisant prier, Philip, qui au fond ne désirait rien tant que cela, redevint le professeur de sa cousine.

Elle était à cet âge où il se fait chez les jeunes filles des changements rapides et généralement favorables. Pendant l’hiver qui suivit les incidents dont nous avons parlé, sa taille se développa, ses yeux prirent une couleur plus foncée, l’expression de sa physionomie devint tout autre, et cet épanouissement de sa beauté lui donnait, vis-à-vis des personnes qui la voyaient pour la première fois, je ne sais quel charme de timidité coquette.

Par rapport à Philip elle se montrait en général assez docile ; mais elle avait ses jours de caprice, où elle témoignait le plus grand dédain pour l’instruction supérieure de son pédagogue. Il n’en était pas moins exact aux leçons, et ni le vent d’est, ni les tourbillons de neige, ni les boues du dégel ne l’empêchèrent un seul jour d’arriver à l’heure dite. Il aimait tant, en effet, à se