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dant il la fit rougir si bien que, pour ne pas la déconcerter davantage, le jeune homme détourna aussitôt la tête ; mais il se remit à la contempler de plus belle aussitôt qu’il la vit plus tranquille. Bell Robson ne laissa pas s’éterniser la situation : « Il était tard, disait-elle, son mari était fatigué ; d’ailleurs, ils avaient assez bu ; on s’en apercevait de reste à leurs histoires qu’elle n’aurait pas dû écouter si complaisamment… » Somme toute, à moins de prendre son hôte par les épaules pour le jeter à la porte, elle n’aurait pu lui témoigner plus clairement son désir de lui voir quitter la ferme. Le secret de cette inhospitalité, si contraire à ses mœurs, était une crainte soudaine qui venait de s’emparer d’elle au sujet du penchant que Sylvia et Kinraid pouvaient éprouver l’un pour l’autre. De fait, — circonstance assez suspecte, — le harponneur qui, au début de sa visite, avait annoncé son départ pour Newcastle comme devant avoir lieu sous un ou deux jours, venait tout à l’heure, acceptant une invitation de Daniel Robson, de lui promettre une seconde soirée, et cela le plus tôt possible.

Le vieux fermier en était à ce degré d’ivresse qui se traduit ordinairement par les dispositions les plus affectueuses, pour ne pas dire les plus tendres ; il accablait Kinraid des assurances les plus amicales, des invitations les plus pressantes, et Dieu sait où l’eût entraîné ce débordement de cordialité, si Bell n’y eût mis un terme en fermant vivement la porte de la cour dont elle poussa les verrous avant que le specksioneer eût quitté l’ombre de leur toit.

Sylvia, toute la nuit, rêva d’aurores boréales, de glaces flottantes, de chaloupes entraînées par des baleines et, quand le jour revint, ramenée aux réalités quotidiennes, elle continua sous une autre forme à s’occuper de Kinraid. Quittait-il le pays, bien réellement et à jamais ? Fallait-il comprendre ainsi les projets de départ qu’il