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et solidement clos ses paupières : — pour tout dire, elle dormait à poings fermés.

« Ma foi, dit le fermier Robson qui venait justement de constater le fait, j’ai failli en faire autant… La maman va se fâcher, maintenant, si je vous avertis que vous avez droit à un baiser ; mais quand j’étais jeune, je n’aurais manqué pour rien au monde d’embrasser toute jolie fille que je trouvais endormie sur mon chemin. »

Philip, soudain pris de peur, regarda sa tante. L’attitude de celle-ci n’avait rien de très-encourageant, et, feignant de n’avoir pas entendu ce que disait son mari, elle congédiait le jeune homme en lui offrant la poignée de main du départ. Au bruit de leurs chaises qui traînaient sur la dalle, Sylvia, réveillée en sursaut, manifesta une confusion que les rires bruyants de son père augmentaient encore.

« Voilà ce que c’est, fillette, que de s’endormir à côté d’un jeune homme… Philip, ici présent, est devenu ton créancier… Tu lui dois une paire de gants[1]. »

Sylvia prenait déjà feu. Elle se tourna vers sa mère pour savoir ce qu’il fallait penser.

« Tranquillise-toi, petite, lui dit celle-ci, ton père veut s’amuser à tes dépens, et Philip sait trop bien comme on se conduit…

— Tant mieux pour lui, interrompit Sylvia dont les joues brûlaient encore ; s’il s’était donné la moindre licence, de ma vie entière il n’aurait eu un mot de moi !… »

Et on eût dit, à son accent, que la faute avait été commise, que le pardon ne viendrait jamais.

Ainsi finit, assez tristement pour Philip, une soirée dont il avait pu beaucoup mieux augurer.

  1. Allusion à une coutume populaire de ce temps-là, que le texte même explique suffisamment.