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attention aux jours qu’il indique : il vient de trop loin pour qu’on lui laisse perdre ainsi sa peine.

— Quelle contrariété ! » aurait volontiers répété Sylvia ; mais elle se contenta de penser que si Kinraid venait le lendemain, la présence de Philip serait au moins inopportune. Elle n’aurait pas voulu, d’ailleurs, que le specksioneer fût témoin de toutes les bévues qu’elle commettrait sans doute pendant sa première leçon.

Mais elle s’effrayait en vain. Le lendemain soir Hepburn arriva fidèlement, et Kinraid ne parut pas. Le jeune commis tira de sa poche, avec les livres qu’il apportait, quelques chandelles enveloppées de papier.

« À quoi bon ceci ? » demanda Bell d’un ton presque offensé.

Philip lui raconta, souriant, les scrupules manifestés par Sylvia sur la consommation de suif qu’entraîneraient les leçons du soir. La jeune fille, qui lut dans les yeux de sa mère un très-vif mécontentement, se montra fort docile écolière ce soir-là, mais ce ne fut pas sans garder secrètement rancune à son cousin de cette soumission bien involontaire. Celui-ci, qui s’en aperçut, redoublait d’attention et de soins. Mais son élève, à la longue, donna des signes non équivoques de lassitude et d’ennui : « À quoi bon, disait-elle, écrire sans cesse, tout le long d’une page, le même mot en gros caractères… Abednego, Abednego, Abednego… Comme cela est amusant !… Et encore si on savait à quoi cela peut servir ?… » Sa mère, alors, lui lança un regard sévère et, sous prétexte de chercher quelque chose dans un tiroir, se rapprochant du buffet sur lequel sa fille écrivait :

« Sylvia, lui dit-elle à voix basse, je tiens à te voir instruite ; ma mère et ma grand’mère l’étaient… De ce que notre famille a déchu, ce n’est pas une raison pour que tu restes ignorante. »

Philip, qui leur tournait le dos, entendit fort bien ces