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tion du monde, oubliant qu’elle l’avait réduit à quitter la mer pour la terre, et le métier de pêcheur pour celui de fermier, ce qui constituait à ses yeux une véritable dégradation. En somme, cependant, il était resté « marin de cœur, » ainsi qu’il le dit au specksioneer, en l’invitant expressément à visiter Haytersbank, la première fois qu’il serait de loisir.

Sylvia, que Molly avait attirée dans un coin et qui semblait tout entière aux confidences de sa compagne, n’avait pas perdu un mot de la conversation des deux hommes ; — dans ce moment elle lui prêta une attention toute spéciale.

« Je vous suis fort obligé, répondit Kinraid, et j’irais bien volontiers passer une soirée avec vous, mais dès que je serai en état de marcher, il faudra que j’aille voir mes parents qui habitent Cullercoats, près de Newcastle.

— C’est bon, c’est bon, dit Daniel qui se levait alors pour prendre congé ; si tu viens, tu seras le bien reçu… Mais je n’ai pas de garçon pour te tenir tête… Un brin de fille, et c’est tout… Approche, Sylvia, qu’on te montre à ce jeune cadet ! »

Plus rouge qu’aucune rose ne le fut jamais, Sylvia répondit à cet appel, et Kinraid, en ce moment, reconnut la jolie jeune fille qu’il avait vue pleurer de si bon cœur sur la fosse de Darley. Il s’était levé, avec la galanterie naturelle aux marins, tandis qu’elle s’approchait timidement et se tenait debout auprès de son père, n’osant regarder franchement et bien en face ce visage qu’elle venait d’épier à la dérobée. Kinraid était encore obligé de s’appuyer d’une main au buffet pour se maintenir sur ses jambes, mais elle put constater un mieux sensible dans son état ; il lui sembla rajeuni, rasséréné. Son visage était expressif ; on voyait, malgré sa pâleur, que ses longs voyages avaient bronzé son teint ; ses yeux et ses cheveux étaient noirs, — les premiers,