Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auquel ne se mêlait aucun autre bruit, si ce n’est parfois, venus du fond des marécages, le mugissement plaintif de quelques bœufs ou les gloussements bavards d’une troupe d’oies.

La tête basse, — et avec un mouvement d’épaules qui dénonçait leurs pénibles efforts, — les hommes chargés du cercueil avançaient toujours, divisant la foule, et derrière eux venait le pauvre vieux jardinier, dont un manteau de deuil dissimulait la mise rustique. Il soutenait, bien faible appui, les pas chancelants de sa femme, qui lui avait fait promettre d’aller la chercher après le service pour la conduire aux funérailles de leur premier-né. Lui-même, d’ailleurs, livré aux douloureuses perplexités de son âme tourmentée, avait besoin de quelqu’un pour exorciser en lui l’esprit de désespoir et de vengeance qui aigrissait encore sa peine et le privait de toutes les consolations de la foi. Mieux que personne autre, la compagne de toute sa vie, la mère de l’enfant immolé, pouvait lui faire comprendre la valeur de ces paroles qu’il répétait machinalement : « Dieu l’a voulu, Dieu l’a voulu ; sa sainte volonté soit faite ! »

Le cortège, une fois entré dans l’église, en obstrua si bien toutes les issues, que Sylvia et Molly ne purent y entrer. Elles restèrent ainsi forcément dans le voisinage de la fosse béante qui attendait le corps promis à la terre. Tout à coup elles virent les personnes groupées autour d’elles diriger à la fois leurs regards vers l’extrémité du sentier auquel aboutissait l’escalier dont nous avons parlé. Là venait d’apparaître, comme sorti du sol, une espèce de fantôme qui se traînait péniblement, soutenu de chaque côté par deux matelots, et leur indiquant du doigt la fosse ouverte.

« C’est le specksioneer, le harponneur qui a voulu le sauver… C’est celui qu’on avait cru mort, se disaient les assistants à voix basse.