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dans une situation très-difficile, et son sermon, écrit dans le courant de la semaine, lui avait sans doute coûté beaucoup de travail. Ce Darley dont on allait célébrer les funérailles avait justement pour père le jardinier du ministre, et toutes les sympathies du docteur Wilson étaient acquises au vieillard qu’on avait ainsi privé de son fils. Mais, en sa qualité de magistrat du district, il avait reçu du capitaine de l’Aurora une longue lettre justificative. « Darley, disait cette épître officielle, s’était mis en résistance ouverte contre les fidèles serviteurs de Sa Majesté. Que deviendraient l’esprit de subordination et de fidélité monarchique, les intérêts du service, et finalement les chances qu’on pouvait avoir de battre ces damnés Français, si une conduite comme celle de Darley pouvait recevoir le moindre encouragement ? » — Le ministre se contenta donc de marmotter, à la hâte et d’un ton banal, sur l’instabilité de notre existence terrestre, un assez médiocre sermon, écouté par bonheur avec indulgence. La simplicité, la pureté de sa vie, connues de tous ses paroissiens depuis plus de quarante ans, le mettaient à l’abri de leurs censures. Aussi, à peu d’exceptions près, se bornèrent-ils à oublier aussi promptement que le ministre lui-même cette homélie de pure forme, à laquelle personne n’attachait la moindre importance Mais quand le ministre, dépouillant sa robe et revêtant son surplis, vint se placer sur le seuil du temple pour attendre l’arrivée du mort, la scène prit un caractère imposant. Bien que le soleil ne fût pas encore couché, la lune montait, lente et pâle, parmi les brouillards argentés qui dérobaient aux yeux les marécages lointains. Sur le long escalier sinueux serpentait à loisir le noir cortège, s’arrêtant çà et là quand le pesant fardeau lassait les porteurs, et se formant en groupes muets sur chaque palier. Le bourdon de l’église, cependant, continuait son tintement grave et mélancolique,