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s’il y a plusieurs enfants, on peut être sûr que l’un d’eux est à la mer et que, tout en cultivant son modeste jardin, sa mère, les jours d’orage, tournera plus d’une fois du côté de l’Océan des regards inquiets. Les jours de loisir se passent tous à la côte. On voit que le cœur du pays est là, et que ses grands intérêts s’y débattent.

À l’époque dont je parle, le voisinage de la mer était pour tout le pays qui environne Monkshaven un motif de crainte et d’irritation. Voici quelles causes spéciales avaient amené ce résultat étrange.

Depuis la fin de la guerre d’Amérique, aucune nécessité pressante n’était venue aggraver pour l’Angleterre les conditions habituelles de la levée maritime. D’année en année, les fonds alloués pour cet objet diminuaient constamment. Ils atteignirent leur minimum en 1792. En 1793, au contraire, la Révolution française mit l’Europe en feu, et le gouvernement anglais n’épargna rien pour fomenter dans la population des Trois-Royaumes les passions anti-gallicanes soulevées par les excès du régime de la Terreur. Quand il fallut en venir aux mains on avait des vaisseaux, mais où étaient les équipages ?

Pour cette disette d’hommes, l’Amirauté possédait un remède souverain, consacré par de nombreux précédents et sanctionnés par la loi coutumière sinon par la loi écrite. Des « ordres de presse » furent émis qui invitaient les autorités civiles de tout le pays à seconder les officiers chargés de l’enrôlement maritime dans l’accomplissement de leur mission. La côte fut partagée en districts, chacun sous le contrôle d’un capitaine de vaisseau qui lui-même déléguait des lieutenants pour chaque sous-district, et, grâce au blocus ainsi organisé, tous les navires frétés pour le retour étaient attendus et guettés au passage, tous les ports strictement surveillés, et en vingt-quatre heures, s’il le fallait, on se trouvait à même d’ajouter un personnel nombreux aux forces de la ma-