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divine… Ma mère m’aimait bien… Dieu m’aimera davantage… »

Quand cette pensée lui vint, il voulut joindre les mains pour prier ; mais Sylvia garda l’une d’elles étroitement captive, et il demeura immobile, n’en priant pas moins pour elle, pour son enfant et pour lui-même. Ensuite, il vit au bord du ciel quelques teintes roses ; il entendit, à travers la porte, un long soupir que la fatigue arrachait à Kester. Il aurait voulu pouvoir lui crier d’aller se jeter sur son grabat, dans cet appentis où lui-même avait passé tant de nuits sans sommeil, dont il n’était séparé que par une mince cloison, et qu’il n’était plus destiné à revoir jamais. Bientôt il perdit le sentiment de la durée du temps. Dans la perspective troublée de ses souvenirs, l’image de Sally Dawson, penchée sur lui et le regardant tristement, tout à l’heure, au moment où elle traversait la chambre, — et celle de sa mère, lui parlant de Dieu et des Patriarches dans cette salle basse embaumée par l’odeur des primevères, — ces deux images étaient exactement au même plan. Puis il sentit dans son cerveau un battement précipité, une espèce de tourbillon. Prête à prendre son vol, l’âme essayait ses ailes. Le sentiment de l’actuel revint presque aussitôt : — il entendit sur les rochers inclinés bondir les vagues sonores.

Et ses pensées se reportèrent sur Sylvia. Il reprit la parole, mais d’une voix qui n’était plus la sienne, d’une voix qu’elle ne connaissait pas, d’une voix qui lui fit peur. Lui-même, pour émettre chaque son, faisait des efforts qui l’étonnaient.

« Ma femme !… Sylvie !… Encore une fois, pardonne-moi tout ! »

Se jetant sur lui à corps perdu, elle baisa ses pauvres lèvres brûlées, et le pressant dans ses bras, gémissante, elle disait à son tour :