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certitude que le vœu sacré de son enfance ne serait jamais réalisé.

Toutes les tentations qui l’avaient entouré, il les appréciait avec une netteté surprenante. Les lieux, les personnes, se représentaient à lui comme s’il les eût vus, comme s’il les eût touchés. Les pensées qu’il avait eues, les arguments par lesquels Satan l’avait entraîné revivaient dans sa mémoire illuminée de clartés surprenantes. Il démêlait ce que ces pensées avaient d’illusoire, ce que ces arguments avaient de spécieux et de faux : il possédait la vision parfaite de la parfaite vérité ; il se rendait compte qu’auprès de chaque tentation existe le moyen de s’y soustraire. Il regrettait amèrement de ne pas s’être rappelé le serment qui le liait à Dieu, le jour où l’esprit de mensonge avait scellé ses lèvres. Quelquefois il sentait sa raison lui échapper, et ne la ramenait à lui que par un effort de volonté. N’était-ce pas déjà l’agonie ? Pour se rattacher à quelque chose de tangible, il cherchait à dégager, de l’espèce de buée qui les enveloppait déjà, les objets présents, ceux dont il était immédiatement entouré. Ainsi voulait-il s’assurer qu’il était sur le lit de Sally Dawson, et non pas sur le misérable grabat, sa couche ordinaire. Cela, il le savait. Il savait aussi que la porte était ouverte, et la nuit étoilée. Sur les rochers du rivage il entendait bondir les vagues sonores. Et du côté de la mer, — de ce côté-là seulement, — il voyait poindre les lueurs grises de l’aube. Cette chaude main qui serrait la sienne, cette main qu’animait un sang impétueux et jeune, elle était à Sylvia, il le savait ; — c’était bien sa femme dont le bras était passé autour de lui et dont les sanglots ébranlaient, de temps en temps, son corps engourdi.

« Dieu bénisse et console ma bien-aimée, se disait-il à lui-même… Elle sait à présent qui je suis… Là-haut, tout sera mieux encore, sous les rayons de la clémence