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l’inaltérable indulgence de Philip, qui pendant les dix-huit mois de leur union ne lui avait jamais fait entendre, — sauf en deux occasions déjà rapportées, — que le langage de l’affection la plus complaisante. D’ailleurs, le mariage de Kinraid avait donné raison à Philip. Le jugement qu’il avait porté sur l’inconstance du specksioneer se trouvait confirmé par cet hymen dont Sylvia s’irritait plus que de raison, et, par ce contraste même, le patient, le fidèle amour de Philip se trouvait mis en relief. Aussi, songeant au terrible serment qui la séparait de lui, elle s’était sentie souvent, elle se sentait encore, ce soir-là, une étrange défaillance de cœur, se demandant si sa défunte mère aurait approuvé une conduite aussi implacable.

Sa rêverie fut interrompue par l’arrivée de Kester. Elle ignorait qu’il fût déjà revenu des Monts Cheviots, et comptait précisément se rendre chez sa sœur, ce soir-là même, pour savoir s’il l’avait avertie de son retour. Au moment de l’accueillir par une interpellation joyeuse, les paroles se glacèrent sur ses lèvres. La physionomie du vieillard était bouleversée. Elle exprimait en même temps une sorte de terreur et de pitié.

« C’est cela, dit-il, sans autre exorde, la voyant tout habillée pour sortir… On a grand besoin de toi… Viens sur-le-champ !…

— Ma fille, ma fille ! s’écria Sylvia qui se sentant aussitôt défaillir, mais comprenant la nécessité de rester debout, se cramponnait au dossier de son fauteuil.

— Oui, ta fille, reprit Kester la prenant par le bras et l’entraînant avec lui du côté du quai.

— Dis-moi tout, Kester, reprit Sylvia d’une voix faible… Dis-moi si je l’ai perdue !

— Non, répondit Kester ; elle est maintenant hors de danger… Ce n’est pas elle, c’est lui qui a besoin de