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de l’appentis, et se croyant épiée par l’inconnu dont la cupidité s’éveillerait, pensait-elle, au bruit des pièces de monnaie qu’elle remuerait en ouvrant sa bourse. Maintenant qu’elle voyait devant elle se manifester la faiblesse et les infirmités de ce malheureux, la pitié remplaça tout à coup ces craintes absurdes :

« Fillette, dit-elle à la petite Bella nantie d’un gâteau que la femme de charge de Jeremy Foster l’avait forcée d’emporter… Ce pauvre homme que tu vois là-bas a bien faim… Tu devrais lui donner ton gâteau, que je remplacerai demain par un autre deux fois plus grand. »

Cette dernière considération — et aussi la générosité naturelle aux enfants qui sortent de table bien complétement rassasiés, — firent consentir Bella au sacrifice qu’on lui demandait.

Sylvia prit le gâteau, et s’abritant de son châle, glissa une demi-couronne au centre de cette espèce de brioche qu’elle rendit ensuite à Bella.

« Je vais te prendre dans mes bras, continua-t-elle ensuite, et lorsque nous dépasserons cet homme, tu lui remettras ton offrande par-dessus l’épaule de maman… »

Ces instructions furent fidèlement suivies ; au moment où les vêtements de sa mère frôlaient ceux de l’inconnu, l’enfant lui présenta le gâteau que sa petite main serrait encore.

« Tiens, pauvre homme ! disait-elle… Bella n’a plus faim. »

Telles furent les premières paroles qu’il entendit prononcer par son enfant. Elles résonnaient encore à ses oreilles tandis que, détournant la tête et penché sur le parapet du pont, il laissait tomber dans le rapide courant des larmes brûlantes que l’Océan allait recevoir dans son vaste sein. Modifiant ensuite son itinéraire, il revint sur ses pas et rentra dans son abri nocturne.

Le lendemain tout ceci n’était pour Sylvia qu’un sou-