Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens accepteraient aujourd’hui un si modique loyer… Ou du moins on chercherait à se rattraper sur autre chose, et le malheureux n’y suffirait pas… Surtout avec l’appétit qu’il a retrouvé… Fiez-vous à moi pour le renvoyer quand les temps seront meilleurs ; mais à présent, ce serait pour ainsi dire le condamner à mort… Et j’ai, grâce à vos bontés, de quoi nous faire vivre lui et moi. »

Sylvia ne fut d’abord pas très-flattée d’apprendre que ses libéralités envers la sœur de Kester servaient en partie à défrayer les besoins de ce locataire inconnu, qu’elle pouvait supposer un vagabond vivant aux dépens de la bonne vieille. Mais le cruel tableau de la famine attendrissait un peu tous les cœurs ; et une heure après la conversation que nous venons d’enregistrer, Sylvia ne vit pas sans quelque émotion se traîner péniblement sur la route neuve qu’on traçait alors pour rejoindre la terrasse de North-Cliff, et qui ne menait à d’autre habitation qu’à celle de la veuve Dawson, un malheureux qu’elle reconnut à son signalement pour le locataire du misérable appentis. Il pouvait n’être, aux yeux de la loi, qu’un vagabond en rupture de ban ; on s’attristait, néanmoins, de le voir traverser le pont avec peine, s’arrêtant à chaque pas et s’appuyant aux parapets pour assurer sa marche alanguie. Il allait à la ville, où elle-même se rendait avec l’heureuse petite Bella.

Une pensée lui vint alors. Elle s’était toujours figurée que cet inconnu pouvait être un homme dangereux à rencontrer sur ce sentier solitaire, qui, du cottage de la veuve Dawson menait à la grande route. Il était si simple, en ce lieu désert, de se jeter sur elle pour chercher à lui ravir l’argent dont il la saurait munie. Aussi s’était-elle bien gardée, à mainte et mainte reprise, de verser aux mains de la veuve ses libéralités habituelles, s’imaginant avoir vu s’entr’ouvrir doucement la porte