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mer ses droits. Mais pour s’imposer ainsi d’autorité, — mutilé, misérable comme il l’était, — il eût d’abord fallu n’être pas Philip Hepburn. Aussi restait-il dans son ancien abri, à l’entrée de ce passage tortueux et rapide qui débouchait sur la Grand’rue, et de là, aux douces clartés du crépuscule, il assistait à la fermeture des magasins ; il voyait l’honnête William Coulson, ce bourgeois confortable, sortir pour retourner chez lui auprès de sa femme, et s’aller attabler devant quelque abondant repas. Philip, alors, — que n’inquiétait guère la police primitive de la petite cité, cette police alors composée d’un vieux watchman, — longeant les rues par leur côté le moins éclairé, jetant de toutes parts des regards rapides, arrivait au quai, traversait le pont, et rentrait à petit bruit dans son misérable asile, pour ne pas réveiller son hôtesse endormie, endormie comme lui, sans avoir satisfait sa faim. Puis, sur l’étroite couche de l’appentis, il tâchait, évoquant des visions chéries, de retrouver le temps où dans la salle basse de Haytersbank, il donnait à Sylvia des leçons si négligemment écoutées. Il ressuscitait les amis défunts. Il se rappelait ces joies, ces espérances que l’arrivée de Charley Kinraid le specksioneer avait si complétement anéanties.

Car la veuve Dawson n’avait pas suivi le conseil de Sylvia. Ce vagabond qui s’était présenté à elle sous le nom de Freeman, — il signait ainsi les reçus de sa petite pension d’invalide, — logeait encore chez elle et payait toujours d’avance son modeste shilling hebdomadaire. C’était peu de chose, par ce temps de disette. À peine de quoi suffire à la nourriture d’un homme bien portant. Pour une personne habituée à calculer, c’eût été une raison suffisante d’éloigner un hôte pareil. Mais la pauvre veuve ne raisonnait pas ainsi :

« Voyez-vous, madame, disait-elle à Sylvia qui était venue la voir un soir avec sa petite fille… bien peu de