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racontiez cette histoire, je n’ai pu m’empêcher de l’interpréter ainsi.

— Laissons cela ! reprit Sylvia. Convenons seulement que c’était un brave et digne homme.

— Pas moins, ajouta Kester, que ce brave et digne homme a gâté toute votre vie, ma pauvre enfant ; et peu s’en est fallu qu’il ne gâtât aussi celle de Charley Kinraid.

— Oh ! repartit Sylvia non sans amertume, la vie des hommes ne se gâte pas si facilement que celle des femmes.

— D’abord ce n’est pas la faute des hommes… Et puis, mon enfant, la vie de Philip, une fois qu’il a été parti, me paraît avoir dû se gâter beaucoup… Peut-être est-il heureux pour lui qu’il en ait été débarrassé si vite.

— Eh bien, recommença Sylvia sur le point de pleurer, je n’aurais pas voulu qu’il mourût sans recevoir de moi quelque bonne parole.

— Inutile de gémir sur ce qui est passé… Parlons d’autre chose, avant que je m’en aille… Je pars demain pour les Cheviots d’où je dois ramener ici un troupeau de moutons que Jonas Blundell vient d’acheter… C’est une besogne de deux mois et plus…

— Il n’y a pas là de quoi se désoler, dit Sylvia un peu étonnée de l’accent découragé avec lequel Kester parlait de sa future absence.

— C’est à cause de ma sœur, continua-t-il,… de cette pauvre veuve avec qui je fais ménage commun… Tout est si cher, maintenant ; le pain de quatre livres vaut seize pence… Et ce n’est pas tout, on prévoit une famine dans le pays… Il en résulte que je vais faire faute à ma sœur, avec ce que je lui payais pour ma nourriture et mon loyer… Si du moins j’avais pu lui trouver un locataire pour l’appentis que j’occupe chez elle… Mais il faudrait que ce fût un honnête homme, car elle a le cœur