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même auberge où jadis il s’était enrôlé. C’était sans intention, et uniquement pour abréger sa route de quelques milles qu’il avait pris de ce côté ; mais il n’en fut pas moins assailli de pénibles pensées, en récapitulant tout ce qui s’était passé depuis le jour où, sous ce même toit, il avait en quelque sorte posé de ses propres mains les bases de son malheur à venir. L’idée lui vint aussi que Sylvia pouvait être morte. Et reverrait-il la petite Bella, qu’il avait laissée resplendissante de santé, mais qui reposait peut-être maintenant, à l’ombre de quelque cyprès, dans le cimetière de Monkshaven ?… Tout lui était, ce jour-là, présage sinistre : le son mélancolique des cloches lointaines, le cri rauque et perçant des oiseaux de marais, le bêlement plaintif des agneaux nouveau-nés.

Il reprit, comme à dessein, le chemin qu’il avait suivi lors de sa fuite ; il descendit, au coucher du soleil, le même escalier taillé dans le roc, dont les dernières marches aboutissaient à un passage obscur donnant sur la Grand’rue. De plus en plus près, à chaque palier, il entendait les sons d’une musique joyeuse, les éclats d’une foule en liesse ; aussi se garda-t-il bien de quitter ce sombre couloir dont les ténèbres le protégeaient et, tapi à l’angle de la rue, il examina simplement ce qui se passait.

C’était une compagnie d’écuyers et de jongleurs, une troupe de Cirque, enfin, qui faisait solennellement son entrée dans Monkshaven. Le cortège était précédé de trompettes aux surcots mi-partis, que suivait un char rouge et or, traîné par six chevaux pies et qu’on dirigeait à grand’peine dans la rue étroite et tortueuse. Sur ce chariot perchaient des rois et des reines, des chevaliers et des grandes dames, — du moins le semblant d’iceux et d’icelles, — admirés et enviés par la marmaille qui les suivait, mais bien las, les pauvres hères ! et frissonnant de