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portait dans ses bras et, songeant qu’elle avait justement l’âge de Bella, se repentait de ne l’avoir pas mieux regardée, de n’avoir pas conservé d’elle un souvenir plus net. Ceci l’eût aidé à se figurer l’autre.

Un soir, las de ressasser indéfiniment ces tristes pensées, il chercha parmi les quelques volumes en lambeaux que son prédécesseur avait laissés derrière lui, une lecture capable de le distraire pour quelques instants. Un tome dépareillé de Peregrine Pickle, un recueil de Sermons, la moitié d’un Annuaire militaire de 1774, enfin les Sept champions de la Chrétienté, voilà tout ce qui lui tomba sous la main. Il prit ce dernier volume, qu’il n’avait jamais lu et dans lequel il trouva l’histoire de sir Guy, comte de Warwick. Il vit comment ce guerrier fameux, étant allé combattre les païens sur leurs propres domaines, demeura loin de son pays pendant sept longues années ; — comment, au retour, sa propre femme, la comtesse Phillis, qu’il avait laissée en son castel, ne reconnut pas le pauvre pèlerin, usé par ses voyages, qui avec force mendiants et autres coquillards venaient recevoir de ses mains blanches la ration de pain quotidienne, — comment ensuite, agonisant dans la grotte qui était devenue son seul refuge, il envoya quérir la noble dame au moyen d’un signe connu d’eux seuls, et comment enfin, se rendant à l’appel de son seigneur, elle vint l’assister, en ce passage suprême, échanger avec lui de douces et pieuses paroles, puis recevoir son dernier soupir, qu’il rendit la tête appuyée sur le sein de cette fidèle épouse.

Ce vieux conte, que presque tout le monde connaît dès l’enfance, était pour Philip une nouveauté. Il ne pouvait y croire d’une manière absolue, parce que le caractère fictif des autres légendes était trop palpable et trop évident. Mais il ne pouvait non plus s’empêcher de penser que ce récit particulier reposait sur un fond de