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« Çà, mon brave, lui demanda-t-il avec le ton protecteur que les riches prennent volontiers vis-à-vis du pauvre, où donc comptez-vous aller, maintenant ? »

Philip ne répondit pas tout de suite. Par le fait il ne savait que répondre.

« Je crois, dit-il enfin, que je continuerai vers le nord… Où j’arriverai, Dieu le sait…

— N’avez-vous donc pas de parents ?… Ne les allez-vous pas retrouver ? »

Encore une pause ; et cette fois un nuage passa sur le front de Philip.

« Non ! dit-il, je ne retourne pas auprès des miens… J’ignore s’il me reste quelque parenté. »

Sa physionomie, son langage ambigu firent penser à ceux qui l’écoutaient, ou que la mort lui avait enlevé tous ses parents, ou que son entrée au service les avait complétement aliénés de lui.

« Je vous demandais ceci, continuait le warden, parce que nous avons un cottage vacant dans la prairie. Le vieux Dobson, qui était avec le général Wolf à la prise de Québec, est décédé il y a une quinzaine. Maltraité comme vous l’êtes, je crains bien que vous ne soyez jamais en état de travailler… Mais il nous faudra les meilleurs témoignages, » ajouta-t-il en dirigeant vers Philip un regard aussi inquisitorial que possible.

Ni l’offre du cottage, ni cette allusion aux renseignements qu’on allait exiger ne parurent émouvoir le pauvre soldat vagabond. Ce n’est pas qu’il n’éprouvât au fond quelque reconnaissance, mais l’accablement de son cœur ne lui permettait pas de s’intéresser beaucoup à ce qu’il allait devenir.

Le warden et sa famille, accoutumés à regarder un établissement au Saint-Sépulcre comme le paradis des soldats invalides, furent un peu contrariés de voir accueillir aussi froidement leur bienveillante proposition.