Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coup à la femme de Jem, qui se traînait derrière eux, lasse d’une longue marche, les pieds endoloris, mais radieuse encore de sa joie récente. Il lui transmit l’offrande du capitaine et reçut du pauvre couple, en échange, des remercîments dont il avait honte, car ce qu’il venait de leur donner lui brûlait les doigts.

Les formalités de son licenciement comme invalide durèrent encore quelques semaines, après lesquelles, assuré d’un petit subside quotidien, il lui fut loisible de quitter Portsmouth. En s’acheminant vers le nord, péniblement et à très-petites journées, il put constater combien la guerre d’alors était populaire. Sa grande taille courbée, son bras en écharpe, les noires cicatrices de son visage, le mouchoir de soie qui maintenait en place sa mâchoire mutilée, tout ce qui attestait en lui le soldat vaillant et malheureux, le signalait à la respectueuse hospitalité de l’habitant des campagnes. Plus d’un cottager aux mains calleuses quittait le coin de l’âtre pour venir sur sa porte jeter un regard sympathique à « l’homme qui avait battu les Français. » Plus d’une bonne fermière s’empressait au-devant de lui pour lui offrir soit le verre d’ale brassée à la maison, soit le grand bol de lait frais qui pouvait apaiser la soif du voyageur altéré.

Même accueil dans les auberges de village ; mais celui-là n’était pas aussi désintéressé. L’hôte savait, en effet, que la présence d’un soldat récemment revenu des guerres attirerait chez lui grand concours de buveurs, et que les politiques de la localité profiteraient de l’occasion pour renouveler leurs éternels débats, la pipe à la bouche et le verre en main. — Le patriotisme doit peut-être quelque chose aux cabarets ; mais les cabarets doivent bien davantage au patriotisme.

Pour la première fois de sa vie, Philip se voyait l’objet de tant de prévenances ; c’étaient des rayons de soleil