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XII

LE BEDESMAN DU SAINT-SÉPULCRE.

Philip était resté longtemps malade à bord de l’hôpital flottant. Peut-être, s’il eût eu le cœur plus content, se serait-il rétabli plus tôt ; mais la volonté de vivre lui manquait. Son visage brûlé, noirci, défiguré, son corps couvert de cicatrices, le soumettaient à des tortures morales aussi bien que physiques. Ces vains rêves qui avaient flotté un moment devant ses yeux à l’époque de son enrôlement, — et qui lui étaient parfois revenus dans le tumulte fiévreux de la vie militaire, — il les avait à jamais perdus. Reconquérir l’amour de sa femme par l’éclat de l’uniforme, l’attrait de la prestance militaire, était une chance sur laquelle il ne pouvait plus compter. Dans l’avenir nouveau qui se révélait, il n’y avait plus qu’irrémédiable laideur, débilité corporelle, et, pour toutes ressources, les misérables secours que l’État accorde à ses serviteurs invalides, — maigre pitance qui les met tout juste à l’abri de la faim.

On le soignait pourtant avec une attention toute spéciale, vu la nature particulière et « curieuse » des blessures qui lui avaient été infligées. Ce malade parfaitement résigné, qui ne demandait rien, ne s’inquiétait de rien, se souciait fort peu de mourir ou non, intéressait par cela même les chirurgiens du bord. Ils se piquèrent d’honneur, et, dès qu’ils le virent hors d’affaire, ils le mirent sur la liste des « renvoyés au pays. » Son pouls fléchit légèrement sous le doigt du chirurgien quand on lui annonça qu’il allait retourner chez lui ; mais il n’articula pas une seule parole. Il était trop in-