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ses bras et l’emporta comme un enfant, avec cette véhémente énergie qui tient à la force de la volonté plus qu’à la force du corps. Avant que ces deux hommes fussent rentrés derrière le ravelin, plus d’une balle leur avait été adressée ; l’une d’elles avait atteint le malheureux lieutenant et déchiré les chairs de son bras.

Kinraid, à ce moment, souffrait des douleurs atroces ; il croyait déjà ressentir les affres de l’agonie ; il se souvint néanmoins plus tard qu’au moment où le soldat de marine appelait ses camarades, et avant qu’ils fussent accourus à sa voix, lui, Kinraid, avait cru reconnaître, comme dans un rêve, un visage présent à sa mémoire ; mais ce devait être une illusion, tant paraissait peu probable une pareille coïncidence. Et cependant, le peu de mots que cet homme avait prononcés au moment où ils étaient seuls — tout hors d’haleine auprès de Kinraid sur le point de s’évanouir — se trouvaient singulièrement d’accord avec la bizarre hypothèse que ses dehors avaient suggérée à ce dernier. Voici ce qu’il avait dit, en paroles entrecoupées :

« Je ne croyais pas que vous dussiez lui rester fidèle ! »

Les autres arrivèrent ensuite. Tandis qu’ils organisaient une espèce de brancard avec leurs ceinturons, Kinraid perdit complétement connaissance. Quand il reprit ses sens, il était à bord du Tigre, dans sa cabine, et le chirurgien du navire enveloppait d’éclisses et de bandages la jambe malade. Une fièvre intense l’empêcha, plusieurs jours de suite, de rassembler ses idées et ses souvenirs. Mais son premier soin, dès qu’elle eut cessé, fut d’envoyer son domestique à la recherche d’un soldat de marine nommé Philip Hepburn, avec ordre de l’engager à se rendre sans retard auprès du lieutenant Kinraid.

Le matelot passa presque toute la journée à explorer