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qui lui semblait tapissée de bois. Il se mit à penser à un temps qui n’était plus, — à ces mers du Groënland, où il s’était vu entouré de glaces, à certains cottages anglais enfouis sous l’herbe et la feuillée. Le passé devenait à ses yeux plus réel que le présent. Un effort considérable lui rendit le sentiment de sa situation ; il compta ses chances de salut, qui étaient en bien petit nombre, et alors il sentit ses paupières se mouiller malgré lui au souvenir de cette femme, récemment épousée, qu’il avait laissée en Angleterre, à cette femme qui peut-être ne saurait jamais comment il était mort, avec son image devant les yeux…

Il vit tout à coup un détachement anglais d’infanterie de marine qui venait, protégé par le relief du ravelin, recueillir les blessés pour les conduire à l’ambulance. Ces braves étaient si près de lui qu’il pouvait distinguer leurs visages et les entendre parler ; mais il n’osait leur donner aucun signe de vie pour ne pas attirer sur lui-même et sur ceux qui viendraient à son aide, les balles des piquets ennemis.

L’idée que la nuit allait venir, — qu’elle amènerait sur le champ de carnage ces misérables pillards qui accourent, comme les animaux immondes, s’abattre sur les mourants, — qu’avant d’être achevé par eux il serait en butte à leur rapacité, à leurs outrages, — lui fit malgré lui relever la tête. Mais le soleil couchant l’éblouit ; il ne put rien voir de ce que ses yeux cherchaient. Alors il retomba désespéré, ne songeant plus qu’à mourir.

Ces mêmes rayons qui l’avaient aveuglé le sauvèrent. Il fut reconnu comme le sont les victimes d’un incendie, à la lueur des flammes. Un des hommes du détachement quitta ses camarades, se ruant à toute course parmi les blessés ennemis, à portée des balles et de la mitraille françaises. Il vint, il s’inclina sur Kinraid, comprit dans une parole ce dont il s’agissait, saisit le blessé dans