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Et de fait, sur une hauteur qui porte le nom de Richard Cœur-de-Lion, au centre d’un état-major à cheval formé en demi-cercle, un petit homme semblait donner des ordres, écoutés avec une extrême déférence. De cinq minutes en cinq minutes, quelque aide de camp partait au galop pour les porter aux deux extrémités de la ligne française.

Vint un moment où les Français se jetèrent avec fureur sur la brèche nouvellement faite, par où ils croyaient pénétrer sans trop de résistance. Surpris de ce mouvement, Kinraid, pour savoir de quoi il s’agissait, se hasarda hors du ravelin où il était à l’abri. Une balle perdue vint alors frapper cet homme qui, pendant toute une journée de carnage, avait pu passer pour invulnérable ; et tandis que les Français, descendus dans les jardins du pacha, livraient un terrible combat à l’arme blanche, Kinraid demeura étendu au delà des ravelins, à bien des mètres en dehors de l’enceinte fortifiée. Il pouvait se regarder comme perdu, car il avait la jambe brisée. De tous côtés, autour de lui, des cadavres ; des cadavres français, car aucun Anglais ne s’était hasardé si loin. De tous côtés aussi, des blessés qui, exaspérés par leurs souffrances, lui jetaient des regards haineux, des imprécations furieuses. Nul doute que si quelques-uns parvenaient à se traîner jusqu’à lui, leurs efforts ne s’unissent pour l’achever. Enfin, les piquets volants de l’armée française étaient à portée de fusil, et son uniforme, moins éclatant que celui des soldats de marine, devait toutefois attirer sur lui le feu de l’ennemi pour peu qu’il se permît le moindre mouvement. Et cependant la tentation de se retourner était grande, car le soleil de Syrie dardait en plein dans ses yeux. La fièvre, d’ailleurs, commençait à l’envahir ; sa jambe blessée lui faisait de plus en plus mal ; une soif terrible, causée par la perte de son sang, séchait ses lèvres et brûlait sa gorge,