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surmonter l’antipathie et les ressentiments que lui inspirait la conduite irréfléchie de la jeune femme.

L’enfant par bonheur était là ; l’enfant aimée de tous sans réflexion, sans motif, sans effort. Hester passait avec elle ses heures les plus légères. Coulson et sa femme, à qui Dieu n’avait pas envoyé de postérité, ne se lassaient pas de l’avoir chez eux. Jeremy et Foster l’avaient en quelque sorte adoptée, et jusqu’à l’austère Alice Rose qui se sentait émue en faveur de la gracieuse petite Bella, ne pouvant s’empêcher de la comprendre parmi ces élus du Seigneur, dont le nombre lui apparaissait chaque jour plus restreint. Ceci la prédisposait à revenir peu à peu sur les jugements sévères qu’elle avait portés contre Sylvia, et à recevoir de meilleure grâce les soins que la jeune mère lui prodiguait.

Quant à celle-ci, personne ne savait ce qui se passait en elle, et c’est tout au plus si elle le savait elle-même. Au milieu des angoisses qui l’assiégeaient fréquemment, cette âme naïve cherchait un secours, et il lui semblait que la lecture des Livres saints l’aurait consolée. Malheureusement, elle ne savait pas lire encore et n’osait l’avouer à personne, pas même à Hester, dont la froideur involontaire la déconcertait, et chez qui elle devinait de secrets reproches, un étonnement douloureux du silence qu’elle gardait sur le compte de son époux absent.

La seule personne qui lui parût avoir réellement pitié d’elle, était le pauvre Kester. Encore cette pitié s’exprimait-elle plutôt par des regards que par des paroles : effectivement, en vertu d’une espèce d’accord tacite, ils ne parlaient presque jamais du passé. Deux fois seulement, — au moment du départ, la main sur la porte qu’elle allait refermer derrière lui, — Sylvia lui avait demandé s’il avait entendu parler de Kinraid, depuis cette nuit qu’il était venu passer à Monkshaven. Et à ces deux