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heureuse et, j’y compte bien, ignore tout ceci) je ne pourrais m’empêcher de haïr Philip. »

L’impression pénible produite chez le vieux quaker par ce langage implacable se trahit sans doute sur sa physionomie, car Sylvia reprit aussitôt :

« Vous me jugez bien mauvaise, de n’éprouver aucun remords, et peut-être, monsieur, avez-vous raison… Le souvenir de ce que j’ai souffert, de l’irrévocable malheur auquel je suis vouée, ne laisse place chez moi qu’à un seul sentiment… Je suis lasse de tout, je voudrais mourir… »

Mais, comme en disant ces mots elle pleurait, l’enfant effrayée se mit à pleurer aussi, et la jeune mère oublia sur-le-champ son âpre désespoir, pour rassurer et calmer par les plus tendres caresses le petit être qu’elle berçait sur son sein.

Le vieillard comprit sans peine par où ce cœur de marbre était accessible.

« Pauvre petite ! s’écria-t-il, ta mère te rendra-t-elle jamais ce qu’elle t’enlève ?… Presque orpheline, tu as raison de pleurer. Tes parents terrestres semblent t’abandonner, et que deviendras-tu si le Père d’en Haut ne t’appelle à lui ? »

Sylvia le regardait, épouvantée. Serrant plus étroitement sur son cœur l’enfant qui pleurait encore :

« Ne parlez pas ainsi, monsieur, s’écria-t-elle… Ce sont là des malédictions… Je n’ai jamais abandonné, je n’abandonnerai jamais ma fille.

— Tu as juré, reprit le vieillard, de ne jamais pardonner à ton mari, de ne plus vivre ses côtés… Or, sais-tu que la loi du pays lui donne le droit de réclamer son enfant, et que tu te trouverais alors entre un parjure ou l’abandon de ta fille ?

— Je ne sais quel parti prendre… Ma tête se perd dans toutes ces complications, dit la jeune femme