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au contraire ; — mais, avec un enfant, que deviendrait-elle ?

Le souvenir lui revint alors des paroles amicales que Jeremy Foster lui avait adressées à l’issue de sa visite de noces ; et bien que ce fût là un prétexte léger pour une démarche si grave, elle résolut d’aller lui demander conseil. Elle allait sortir pour la première fois depuis la mort de sa mère, et il lui répugnait étrangement de s’exposer aux regards du public. Elle éprouvait encore une autre crainte, au moment de descendre dans les rues. Malgré tous ses efforts, elle ne pouvait se soustraire à l’idée que Kinraid avait dû secrètement rester dans le voisinage ; et c’était pour elle une véritable terreur que de se sentir exposée à le rencontrer encore. Il lui semblait que si elle venait à l’entrevoir, lui ou son brillant uniforme, — si elle entendait, ne fût-ce qu’au loin et prononçant une seule syllabe, cette voix bien connue, — son cœur cesserait de battre et qu’elle mourrait d’angoisse et de crainte, en songeant à ce qui pourrait survenir.

Contre ce péril, la Providence lui envoya un bouclier. Ce fut l’enfant que Nancy lui apportait, toute habillée, pour lui faire prendre l’air. À peine l’eut-elle dans les bras que le cours de ses pensées changea complétement. L’enfant, que sa dentition faisait souffrir, poussait de temps en temps quelques cris plaintifs, et c’en fut assez pour que la jeune mère franchît, sans s’occuper d’autre chose, la longueur des quais et le pont qui conduisait à la Ville-Neuve. Elle ne prit pas même garde aux respects que lui valurent, sur le chemin, son deuil austère, sa beauté frappante, la pitié qu’inspirait le double malheur dont elle venait d’être frappée, et jusqu’au souvenir qu’on gardait à son père, dont la mort tragique était réputée, à Monkshaven, une espèce de martyre.

Nous passerons sur l’accueil affectueux qui lui fut fait