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« Je regarde comme sûr, reprit Kester, que ces deux hommes ne se sont pas retrouvés… Le départ de ton mari n’en est que plus inexplicable… Tu lui as cependant fait connaître, disais-tu, ce que tu as sur le cœur ?

— Oui, répondit Sylvia sans bouger… Et toute ma crainte, c’est que ma mère ne m’ait entendue… » Ici les larmes dont se remplissaient ses yeux fermés débordèrent lentement sur ses joues : « Cependant, je n’ai dit que la vérité… Lui pardonner m’est impossible… Je n’ai pas encore vingt et un ans et, grâce à lui, ma vie est perdue… Mieux que personne, il savait à quelle torture j’étais en proie… Un mot de lui l’aurait calmée ; et ce mot, il était chargé de me le dire…

— Si j’eusse été là, dit Kester qui serrait ses poings par un mouvement d’indignation, je l’aurais infailliblement assommé.

— Et pourtant, Kester, reprit Sylvia, il était si bon pour ma mère ! Ma mère avait pour lui tant d’amitié… Oh ! reprit-elle, se soulevant et ouvrant ses grands yeux mélancoliques… comme il est quelquefois bon de pouvoir mourir !… À quelles misères on échappe ainsi !

— Soit, dit-il, mais il y a des gens dont on ne voudrait pas voir abréger la misère… Songe, par exemple, à la vie que mène aujourd’hui Philip. »

Sylvia frissonna de tout son corps, et ne répondit pas sans quelque hésitation.

« Je ne veux pas le savoir, disait-elle… J’ai formé contre lui des vœux… et c’était mon droit…

— Voyons, voyons, mon enfant ! dit Kester, effrayé lui-même de l’émotion que ses dernières paroles avaient produite, nous ne saurons rien à ce sujet ni l’un ni l’autre… Pourquoi donc nous en occuper ?… Mais tu ne m’as pas demandé par quel hasard je me trouve établi à