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« Par le ciel ! s’écria-t-il, cet homme a pris là une grande responsabilité. »

Sur les joues pâles de Sylvia deux taches rouges vinrent se former, et pendant une minute environ, ni l’un ni l’autre n’ouvrit la bouche. Ce fut encore elle qui rompit le silence et, parlant plus bas que jamais :

« Kester, lui dit-elle, je suis plus épouvantée que je n’oserais le dire à personne… Crois-tu qu’ils se soient rencontrés ?… Cette pensée m’est odieuse… J’ai dit à Philip ce que j’avais sur le cœur… J’ai prononcé contre lui un serment solennel… Mais s’il lui était arrivé malheur, et par les mains de Kinraid… Si… »

Le coloris fiévreux de ses joues s’effaça devant l’image sinistre qu’elle venait d’évoquer.

« On le saura facilement, reprit Kester… Je vais de ce pas aux Armes du Roi, sur le quai… C’est là qu’il était descendu…

— Bien, bien, dit Sylvia, et prends par le magasin… Chacun me guette pour savoir le secret de mes pensées, et j’ai peine à leur dissimuler celle qui me ronge le cœur… Coulson sera dans le magasin, mais il est moins à redouter que Phœbé. »

Kester était de retour au bout d’une demi-heure. Il trouva Sylvia dans la même attitude où il l’avait laissée. Elle le regardait avidement, mais sans lui adresser un seul mot.

« Parti ! dit aussitôt le zélé messager. Parti dans la carriole de poste, à dix heures précises, le jeudi matin, et sans avoir vu personne… pas même les Corney, qui se plaignent à grand bruit de leur cousin le lieutenant.

— Merci, Kester ! » dit Sylvia se laissant retomber dans son fauteuil comme si, ses inquiétudes une fois calmées, elle perdait tout ressort, toute énergie.

Elle demeura longtemps muette, les yeux fermés, la joue posée sur la tête de son enfant.