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avait promis de se rendre le lendemain matin devant le magistrat le plus proche, pour y prêter serment comme soldat d’infanterie dans la marine de Sa Majesté. À partir de ce moment, ses souvenirs confus ne lui rappelèrent plus rien.

Il se réveilla sur un petit lit de camp dressé pour lui dans la chambre du sergent, lequel dormait du sommeil du juste. Les souvenirs amers de la veille lui revinrent l’un après l’autre, et le rendirent indifférent au destin qu’il s’était fait.

La prime d’engagement lui avait été remise, il le savait ; et bien qu’à la rigueur il eût pu réclamer contre l’espèce de stratagème dont il avait été dupe, — bien qu’il ne conservât aucune espérance, et d’ailleurs aucun souci, des avantages qu’on avait fait luire à ses yeux, — il se résignait, dans son accablement inerte, à suivre la voie ouverte devant lui et d’où il n’eût pu sortir que par un puissant effort de volonté. Tout ce qui le séparait de sa vie antérieure, tout ce qui pouvait la lui faire oublier, était accueilli comme un bienfait ; il saluait de même tout ce qui devait multiplier ses chances de mort, en lui épargnant toutefois la nécessité coupable d’attenter lui-même à ses jours. Et enfin, dans les plus intimes profondeurs de sa pensée, il retrouva, mais à l’état de cadavre, le rêve brillant qu’il avait fait la veille ; ce rêve de gloire et de beauté, ce rêve où l’amour que Sylvia lui avait toujours refusé devenait enfin la récompense de tant d’efforts.

Cette vision de l’ivresse ne lui arracha qu’un soupir, et son morne désespoir repoussa les consolations que lui offrait une pareille chimère. Le sergent, cependant, qui l’avait en vain convié à prendre sa part d’un déjeuner commandé avec quelque recherche, surveillait du coin de l’œil sa nouvelle recrue, prévoyant une remontrance et redoutant une fuite soudaine.