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de tant de stimulants, s’était emparée de Philip, et il buvait à longs traits, sans se rendre compte du liquide qu’il absorbait ainsi. Sur un homme d’habitudes aussi sobres, pareille boisson ne pouvait manquer d’avoir effet, et son imagination s’exalta bientôt.

Il avait devant les yeux, dans son joyeux uniforme rouge, ce beau militaire si gai, si alerte, si insouciant, — admiré, respecté de tous par cela même qu’il appartenait à la profession des armes. Ne se pouvait-il donc pas que s’il revenait un jour à Monkshaven avec ce brillant costume, ces martiales allures, Philip parvînt à reconquérir le cœur de Sylvia ? Naturellement brave, l’idée du danger à courir, si elle s’offrit à lui, ne devait pas l’arrêter longtemps. Il se crut très-habile en abordant avec son nouvel ami la question d’enrôlement ; mais il avait affaire à un homme autrement madré que lui, et qui savait d’ailleurs, par expérience, comment les « pêcheurs d’hommes » amorcent leur proie.

Philip avait bien quelques années de plus que l’âge réglementaire ; mais — à cette époque où la consommation militaire était si grande, — on ne regardait pas de fort près à de si minces détails. Le sergent se mit donc à pérorer sur les avantages qu’un homme ayant reçu de l’éducation devait inévitablement trouver dans le corps spécial auquel il se félicitait d’appartenir ; — un tel homme inévitablement devait monter en grade ; — tout au plus pourrait-il, le voulant bien et à grand’peine, demeurer simple soldat. C’est ainsi que le sergent envisageait la question.

Plus Philip essayait de réfléchir et plus, dans son étourdissement, il avait peine à rassembler deux idées de suite.

Enfin, par une sorte d’escamotage, il se trouva qu’il avait, dans le creux de sa main, le fatal shilling qui constitue les arrhes de l’embauchage militaire ; et il