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dans les vastes pâturages de l’intérieur, gravissant ces cimes à l’herbe courte sur lesquelles planaient en chantant les joyeuses alouettes. Il marchait toujours devant lui, si indifférent à la morsure des ronces et aux obstacles des buissons, que le noir bétail de ces régions sauvages, cessant parfois de brouter et levant la tête, le suivait du regard avec un étonnement stupide.

Maintenant il était arrivé par delà les espaces clos et les murs de pierre. Dans les marécages bruns et désolés, revêtus encore de leurs bruyères sèches, de leurs fougères jaunies, de leurs genêts épineux, il avançait toujours, foulant aux pieds, broyant les tendres pousses de l’année, sans prendre garde aux cris subits du pluvier effarouché ; on l’eût dit pressé, poussé par le fouet sanglant des Furies. Pour unique soulagement à ses pensées amères, pour unique moyen d’oublier et les froids regards, et les âpres paroles de l’inflexible Sylvia, il n’avait que ce violent exercice, cette course aveugle, effrénée, presque folle.

Elle continua ainsi jusqu’à l’heure où les ombres du soir, tempérées par des clartés rougeâtres, tombèrent sur ces grands espaces déserts.

Jusque-là, il avait évité à dessein les routes et les sentiers qui lui faisaient craindre de rencontrer quelqu’un ; l’instinct énergique de la conservation, la gêne de ses membres endoloris, les battements inégaux de son cœur fatigué, l’espèce de brouillard qui se plaçait parfois entre ses yeux et l’horizon l’avertirent qu’il fallait se résoudre, soit à chercher un abri et un morceau de pain, soit à se coucher dans l’herbe épaisse pour y attendre la mort. Ses chutes devenaient de plus en plus fréquentes ; le plus léger obstacle le faisait trébucher. Il avait dépassé la région où paissent les bœufs ; il ne rencontrait plus que des moutons à tête noire, et ceux-là aussi, cessant de brouter, le regardaient avec stupeur.