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tion riche et puissante. On y trouve de beaux gazons élastiques où paissent en trop grand nombre certains petits moutons à tête noire, mal venus des bouchers à cause de leur maigreur, et dont la laine courte et rude ne jouit pas auprès des tisserands d’une haute considération. Dans ces districts ruraux, éparpillés en plein marécage, la population est de nos jours très-clairsemée. Elle l’était bien plus encore il y a quatre-vingts ans, c’est-à-dire avant que l’agriculture, devenue science, eût trouvé les moyens de lutter contre les difficultés naturelles que lui offrait le sol tourbeux de ces plaines humides, et avant que les chemins de fer, facilitant les communications, n’y amenassent chaque année les sportsmen attirés par la quantité de gibier qui peuple ces solitudes.

Monkshaven est une ville de pêcheurs. Son aristocratie, qui n’a rien de commun avec celle du comté, s’est formée parmi les aventureux négociants et les marins plus aventureux encore qui s’engagent dans les vastes opérations dont les mers du Groënland sont le théâtre. On s’en aperçoit de reste à ces vastes appentis qui s’étendent sur les bords de la Dee et d’où sort une odeur d’huile, un parfum de marée que semblent goûter les naturels de l’endroit. Presque tous ont été, sont, ou seront marins : leur destinée individuelle, l’avenir de leurs familles dépendent du succès de leurs expéditions lointaines. Tout ceci contribue à donner à la ville, au pays même, je ne sais quelle tournure amphibie. À vingt milles de la côte, les rebuts de la pêche, les plantes marines, les ordures des melting-houses (ces hangars dont nous parlions et qui servent à la fonte du « gras de baleine »), constituent la plus grande masse des engrais du district. De grandes mâchoires de cachalot, à l’aspect sinistre, surmontent, dénudées et blanchies, les portes de plus d’un enclos. Dans une famille d’agriculteurs,