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mur dans de petits cadres en bois, de forme ovale ; — noirs profils relevés d’or, et rappelant la forme humaine d’aussi loin qu’on le puisse imaginer. Après avoir contemplé une minute ou deux le portrait de Sylvia, Philip s’en saisit, poussé par une irrésistible convoitise, et le glissa sous son gilet, qu’il reboutonna soigneusement.

C’était là tout ce qu’il emportait de chez lui.

Il voulut sortir par la porte donnant sur le quai. La rivière était là, et peut-être ses eaux paisibles lui eussent-elles offert une tentation funeste. Mais des groupes nombreux étaient réunis sur la berge, et leur seul aspect fit rebrousser chemin à Philip, qui trouva bientôt une autre issue pour revenir dans la Grand’Rue ; il la traversa presque en droite ligne pour gagner un passage bien connu, au bout duquel un escalier grossièrement taillé dans le roc le mena bientôt sur la hauteur, à la limite des vastes marécages qui s’étendaient à perte de vue. Cette rude ascension, rapidement accomplie, l’avait mis hors d’haleine. Il s’arrêta donc et, du sommet, jeta sur la ville un regard d’adieu. Coupée en deux par la rivière étincelante, elle lui apparaissait maintenant tout entière au bord de la mer soulevée, avec son petit port hérissé de mâts, ses maisons aux toits irréguliers. Le long des quais ses yeux cherchaient machinalement à discerner, parmi celles-ci, la demeure où il venait de laisser tant d’êtres chéris. Il la reconnut sous cet aspect nouveau ; il distingua le mince filet de fumée bleue qui s’échappait de ce foyer domestique auprès duquel il ne devait plus s’asseoir.

Cette cruelle idée, comme un aiguillon puissant, le fit repartir à l’instant même, sans qu’il sût où il allait, sans qu’il en prît le moindre souci. Il traversa les champs labourés où les blés, à peine sortis de terre, commençaient à verdir. Il tourna le dos, avec un mouvement d’amertume, à cette vaste mer où le soleil se mirait ; il s’enfonça