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Philip comprenait toute la portée de pareils propos dans un pareil moment. Il se voyait déchu, en un instant, de l’estime péniblement achetée par ses longs travaux. Tout au moins serait-il à la merci de Kinraid, qui d’un mot pourrait le perdre. Aussi écoutait-il la tête basse, et perdu dans ses réflexions, tout ce qui se disait dans le groupe voisin. Une résolution en lui s’ébauchait. Il leva la tête pour se regarder dans le petit miroir où les clientes du magasin étudiaient l’effet des ajustements qu’elles voulaient acheter, — et alors son parti fut pris complétement.

Ce qu’il avait vu dans le miroir, c’était sa longue figure triste, envieillie, enlaidie encore par les souffrances de cette matinée funeste. Il comparait sa taille courbée, ses épaules voûtées, à la fière et martiale tournure de Kinraid, à ce beau visage brun rehaussé par le prestige de l’épaulette et de l’épée, à ces yeux noirs qu’il avait vus resplendir de tous les feux de la colère, à ces dents étincelantes qu’un sourire terrible lui avait révélées ; — et de cette comparaison naissait un découragement profond, une sorte de dégoût amer qu’il s’inspirait à lui-même.

Ce fut sous l’impression de ce sentiment, et de son désespoir inerte jusque-là, qu’il prit une résolution décisive.

Il fallait, coûte que coûte, se soustraire à l’insultante curiosité dont il allait devenir l’objet. Il fallait se dérober à l’opprobre, aux humiliations qui le menaçaient, soit chez lui, soit au dehors.

Il sortit du magasin, et traversant le salon, où il s’arrêta quelques instants, il monta, les dents serrées, à l’étage supérieur.

D’abord il entra dans l’espèce de chambre-alcôve où reposait son enfant. Nancy a raconté, depuis lors, combien elle fut surprise de le voir s’agenouiller à côté du