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« Écoute, dit-elle se dégageant, écoute, Kinraid !… cet enfant m’appelle… Cet enfant, c’est le sien et j’allais l’oublier… J’oubliais tout… Je me serais perdue… Le serment que je vais prononcer me sauvera… Jamais je ne pardonnerai à cet homme… jamais je ne le reconnaîtrai pour mon mari… Tout est fini entre nous !… Il a flétri ma vie, il l’a flétrie à jamais ; mais ni vous ni lui ne flétrirez mon âme… Croyez-moi, Charley, la destinée m’est bien dure… Encore faut-il s’y soumettre… Un baiser donc, un seul baiser, et ensuite, — Dieu m’en soit témoin, Dieu me punisse si je faiblis, — je ne vous reverrai plus, de ce côté de la tombe !… Liée par un double serment, je ne manquerai ni à l’un ni à l’autre… Je sais à quoi je m’oblige, à quoi je renonce pour jamais… Un baiser donc, un dernier baiser !… Dieu me vienne en aide, il est parti… »

V

UN AVENTUREUX SOLDAT.

Elle s’était jetée sur un siége, toute frémissante. Philip, immobile, demeurait auprès d’elle, ignorant si elle le savait là, et n’ayant au fond qu’une pensée, celle de leur séparation définitive et sans retour. La voix de l’enfant se fit entendre encore ; nulle autre que Sylvia ne pouvait répondre à cet appel de la faim.

Elle se leva donc, et, dès les premiers pas, sembla chanceler. Philip, machinalement, s’avança pour la soutenir. Le regard indifférent qu’elle porta sur lui était toute une révélation ; c’était celui qu’elle eût jeté au premier meuble venu, table ou fauteuil, qui se fût offert à ses mains pour raffermir sa marche indécise. Mieux qu’au-