Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrange parut avoir arrêté sur place l’étranger surpris et déconcerté ; mais il l’interpréta de nouveau par ce qu’avait eu de trop soudain le hasard de leur rencontre, et il se jeta sur les traces de la fugitive, marchant assez vite pour ne pas la perdre de vue, sans chercher cependant à la rejoindre trop tôt.

« Je lui ai certainement fait peur, à cette chère enfant, » se disait-il persistant dans son idée. Elle servait à refréner son impatience et à ralentir son allure habituelle ; parfois, cependant, il se trouvait si près de Sylvia qu’elle reconnaissait le bruit de ses pas, et dans son exaltation insensée elle songea un instant à chercher l’apaisement de sa douleur sous l’eau de cette rivière qui courait, large et rapide, à quelques pas d’elle. Dans cette voie fatale, quelle pensée l’arrêta ? Peut-être le souvenir de l’enfant qu’elle allaitait, peut-être celui de sa vieille mère infirme ; peut-être un ange envoyé par le Seigneur. Nul ne le saura jamais ; ce qui est certain, c’est que, persistant à courir le long des quais, elle se détourna tout à coup et se précipita dans une porte ouverte.

L’étranger, qui l’avait toujours suivie, arriva ainsi dans une salle basse, obscure et tranquille, où un déjeuner de famille était servi. La brusque transition du plein jour aux ténèbres lui fit croire, tout d’abord, que la fugitive avait passé outre et qu’il était seul : aussi s’arrêta-t-il avec un mouvement de dépit, prêtant l’oreille et sans rien entendre que les battements de son cœur ; mais un souffle haletant, une sorte de sanglot impossible à comprimer lui fit porter ses regards autour de lui, et il aperçut alors Sylvia tapie derrière la porte, la tête enfouie sous ses vêtements, en proie à des tressaillements nerveux, à de violents soubresauts qui ébranlaient toute sa personne.

Il se rapprocha d’elle aussitôt, et avec les plus douces