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nant de maigreur, à qui la faim arrachait de plaintifs miaulements ; il accompagna Sylvia au jardin comme s’il était charmé de retrouver quelque société humaine ; mais il se refusait au moindre contact.

Parmi les touffes d’herbes à baies, qui poussaient vigoureusement de toutes parts dans un désordre fécond, Sylvia se fraya un chemin jusqu’à l’endroit, bien connu d’elle, où croissait la plante qu’elle venait chercher ; elle en détacha les feuilles naissantes, et de temps en temps laissait quelques légers soupirs s’échapper de sa poitrine. Puis elle revint sur ses pas, s’arrêta tout émue devant la porte de la maison, monta sous le porche, et posa ses lèvres sur le bois insensible avec un attendrissement dont elle-même ne se rendait pas compte. Elle essaya d’attirer le chat dans ses bras pour l’emporter chez elle et lui faire un sort plus heureux ; mais cette tentative effaroucha l’animal, qui courut se réfugier dans son inaccessible retraite, laissant derrière lui comme un vert sentier sur la rosée blanche de la prairie. Alors Sylvia se remit en route pour rentrer chez elle, s’abandonnant à ses pensées, à ses souvenirs, jusqu’au moment où, parvenue à la barrière posée entre le domaine et le chemin, elle se trouva soudainement arrêtée.

Sur le sentier, en dehors de l’étroite issue, un homme était debout, tournant le dos au soleil matinal. Elle ne vit de lui, tout d’abord, que son uniforme ; c’était celui de la marine royale, et les habitants de Monkshaven, à cette époque, le connaissaient bien.

Sylvia passa rapidement près de lui, sans regarder en arrière, bien que sa robe eût presque frôlé l’habit de ce personnage immobile. Elle n’avait pas fait un pas de plus, — non pas même un demi-pas, — lorsqu’elle sentit son cœur bondir et retomber dans sa poitrine comme si une balle l’eût traversé de part en part.