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alléguant la fatigue d’une pareille course et proposant de la faire lui-même si elle était absolument indispensable.

« Soyez tranquille, répondait Sylvia insistant et suppliant ; j’ai été accoutumée, dès ma jeunesse, à des courses bien plus longues.

— Va donc, si tu le veux absolument, dit Philip… Mais prends d’abord quelque chose, et fais ensuite ta promenade tout à loisir. »

Ces dernières recommandations furent perdues, car, dès les premiers mots, Sylvia s’était élancée sur son chapeau et son châle. Depuis le jour de ses noces, elle n’avait revu Haytersbank qu’une seule fois. En cette occasion, la ferme lui était apparue sous je ne sais quel aspect étrange et discordant, envahie par de nombreux enfants dont les jouets épars et les cris tumultueux contrastaient avec l’ordre sévère jadis maintenu par Bell Robson. Ces joyeux enfants, à l’heure actuelle, n’avaient plus de père, et la maison était close en attendant l’arrivée de quelque nouveau tenancier ; close était l’étable, et la volaille avide n’errait pas dans les champs voisins, à la recherche de sa picorée quotidienne. Partout régnait un silence bizarre, inaccoutumé, qui blessait en quelque sorte les oreilles de Sylvia. Seulement, dans le vieux verger situé hors de vue, derrière un pli de terrain, une grive prolongeait incessamment les fredons aigus de sa chanson matinale.

Sylvia passa lentement devant la maison et descendit vers ce bout de jardin, sauvage et désert, qu’elle avait tant et tant de fois parcouru. Auprès de l’ancien puits, les successeurs des Robson avaient creusé une pompe ; innovation aussi choquante pour Sylvia que pour le puits lui-même. La chaîne rouillée était enroulée autour du cabestan ; le seau desséché, fendillé, tombait en miettes. De quelque appentis sortit un pauvre chat, éton-