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Elle s’attendait à revoir Philip, et soit qu’il vînt la gronder encore, soit qu’il fût amené près d’elle par un désir de réconciliation, elle redoutait d’avance le bruit de ses pas. Mais il était retenu dans ses magasins et ne parut point. Bell Robson monta seule, entre sept et huit heures, pour se mettre au lit, selon sa coutume ; mais, contre sa coutume, elle ne réclama point l’assistance de sa fille qui, pour ne pas lui laisser voir les traces de son chagrin, demeurait accoudée à la fenêtre, contemplant les tuiles des toits d’en face.

Quand Bell fut endormie, un âpre désir s’empara de Sylvia : c’était de se retrouver seule, sous la paisible voûte des cieux.

« Ni ma mère, ni lui, ni mon enfant n’ont besoin de moi… Je pleurerai dehors tout à mon aise et sans craindre sa venue. »

Elle s’habilla donc et sortit. L’instinct du souvenir la conduisit, cette fois, sur cette longue suite de marches qu’on gravissait pour monter à l’église paroissiale. Là, sa mémoire évoqua naturellement la scène des funérailles de Darley, de ces funérailles où elle avait vu Kinraid pour la première fois, et ce dangereux appel du passé réveilla, plus vifs que jamais, les regrets, maintenant coupables, qu’elle avait tant de fois voulu comprimer. Autour d’elle l’orage s’apprêtait à sévir de nouveau ; la marée grossissait, le vent soufflait de terre et par brusques rafales, cherchant vainement à lutter contre le massif, l’invincible élan des flots soulevés qui venaient, impuissants à leur tour, se briser à la base des rochers inférieurs.

Ce désordre des éléments convenait aux dispositions actuelles de Sylvia ; il apaisait la tempête soulevée en elle, mieux que n’eût fait le calme de la nature, si la jeune femme avait vu fidèlement tenues les promesses de beau temps qui l’avaient engagée à sortir de chez elle.