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quelques reproches aussi atténués que possible, et comme s’il eût voulu provoquer ainsi une de ces bonnes querelles, suivies de tendres retours, après lesquelles, mari repentant, il aurait pu s’excuser ou d’avoir parlé trop vite ou de l’avoir injustement blâmée. Mais Sylvia s’était promis de ne pas ouvrir la bouche, pour ne manifester ni colère ni émotion quelconque. Ce fut seulement au départ que, se retournant tout à coup, elle lui dit :

« Ma pauvre mère, Philip, n’a plus bien longtemps à passer ici-bas… Épargne-lui le chagrin de s’irriter contre sa fille, en t’abstenant de me censurer devant elle… Notre union, j’en conviens, a été une grande erreur… Mais devant cette pauvre vieille veuve, faisons semblant d’être heureux !

— Sylvia, Sylvia ! » cria-t-il, la rappelant.

Elle l’avait entendu sans nul doute, mais elle ne se détourna pas. Il la suivit et la prit par le bras, peut-être un peu rudement. Les paroles calmes qu’elle venait de prononcer l’avaient frappé en plein cœur ; elles attestaient, en effet, une conviction longtemps réfléchie.

« Sylvia, lui dit-il d’un ton presque farouche, que signifie ce que vous venez de dire ?… Parlez !… Cette fois, j’exige une réponse. »

Il la secouait presque, et ses manières véhémentes commençaient à l’effrayer, car elle les attribuait simplement à la colère, n’y reconnaissant pas l’emportement d’une affection qu’exaspère la froideur dont elle est payée.

« Laissez-moi !… Vous me faites mal, Philip ! »

À ce moment même entrait Hester, dont la sereine présence remplit Philip de confusion ; il ouvrit la main et sa femme s’échappa ; elle s’échappa dans la chambre de sa mère, chambre déserte en ce moment, où elle put s’abandonner sans contrainte à toute l’amertume, à tous les transports de sa douleur.