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elle s’était mise à aimer Sylvia, et par ces mêmes motifs qui tourmentaient et chagrinaient Philip, se sentait attirée vers la jeune femme. Après s’être attendue à trouver en elle une personne légère et bavarde, pleine de vanités et de caprices, Hester s’étonnait, se réjouissait de la voir si docile aux ordres de son mari, si peu avide de plaisirs, si dévouée à sa mère et à son enfant. Et parfois cependant la jeune Méthodiste était amenée à penser, — mais elle ne s’arrêtait guère sur cette idée, — que cet intérieur si paisible n’était pas précisément tout ce qu’on pouvait souhaiter de mieux. Philip semblait vieillir vite sous l’action de quelque souci caché ; même Hester était obligée de s’avouer qu’elle l’avait entendu s’adresser à sa femme sur un ton d’impatience et d’aigreur. Innocente Hester ! elle ne pouvait s’expliquer que les qualités mêmes dont elle louait Sylvia, — qualités étrangères à la nature de celle-ci, — constituaient, aux yeux de son mari, qui l’avait connue dès l’enfance, la preuve irréfragable de la contrainte qu’elle s’imposait ; il lui eût été reconnaissant de quelques vaines paroles, de quelques actions capricieuses, bien autrement qu’il ne l’était de ce sacrifice quotidien auquel l’avait réduite un mariage subi à contre-cœur.

Un jour, — c’était au printemps de 1798, — Hester fut invitée à prendre le thé chez ses amis, auxquels elle avait à donner un coup de main, dans la soirée, pour l’emmagasinage des marchandises d’hiver. À quatre heures et demie (c’était le moment de ce léger repas), Sylvia n’était pas rentrée et rien n’était prêt. Depuis une demi-heure déjà, la pluie, battant aux carreaux, avait tiré mistress Robson de cette somnolence engourdie où elle demeurait plongée pendant une grande partie du jour. Philip sortit à ce moment des magasins, dans un état de lassitude physique et morale qui semblait altérer quelque peu sa patience ordinaire.