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les paroles qu’il lui avait entendu prononcer avant leur mariage, paroles de triste et funeste augure :

« Il n’est pas en moi de pardonner ; je me figure parfois que l’oubli lui-même m’est impossible. »

Cette réserve où il la voyait se retrancher, et sur laquelle n’avait aucune prise l’humble tendresse qu’il lui témoignait, le froissait d’autant plus qu’il connaissait mieux sa nature aimante et passionnée, et qu’il l’avait vue jadis si véhémente et si démonstrative. Parfois, il essayait d’en triompher, n’importe à quel prix, et de provoquer un élan d’impatience, une brusque réponse, une saillie de colère, par quelque injustice préméditée. Mais alors même il échouait, et par ses tentatives maladroites pour lui rendre un peu de vie, il n’arrivait qu’à s’aliéner encore davantage ce cœur rebelle. Rigoureusement irréprochable, strictement exacte en tous ses devoirs, si elle avait à subir ces plaintes ou ces reproches qu’elle savait immérités, elle se gardait bien de répondre ; en pareil cas, cependant, il croyait lire dans le regard qu’elle lui jetait les fatales paroles d’autrefois :

« Il n’est pas en moi de pardonner ; je me figure parfois que l’oubli lui-même m’est impossible. »

N’allons pas nous figurer que la vie de Philip s’absorbait tout entière dans cette lutte sans issue. Le développement subit de sa carrière commerciale, le succès dont il voyait couronnés ses patients efforts, avaient éveillé son ambition ; ambition modeste, d’ailleurs, et telle que le pouvait concevoir, il y a soixante ou soixante-dix ans, un « boutiquier de petite ville. » Il tenait à devenir un des notables de la cité ; il voulait avoir place au banc de la paroisse, figurer d’abord parmi les sidesmen (assesseurs) en attendant qu’il devînt plus tard un des churchwardens (marguilliers, anciens du consistoire). Aussi le dimanche assistait-il à tous les offices, assez pieux d’ailleurs pour se déguiser à lui-même le secret motif de tant