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pour un autre homme l’exaspéraient aussi à cause du mal que Sylvia se faisait en s’y abandonnant. À ce moment-là même, il bougea sans doute et fit quelque bruit involontaire. La malade tressaillit de plus belle et s’écriant :

« Qui est là ? disait-elle… Au nom de Dieu, je veux savoir qui vous êtes ?

— C’est moi, » répondit Philip, qui s’avança aussitôt essayant de comprimer ce mélange de passions diverses, amour et jalousie, remords et colère, qui précipitaient les battements de son cœur. Il fallait, du reste, qu’il fût tout à fait hors de lui, ce qui explique ses imprudentes et cruelles paroles.

« Philip, lui avait dit Sylvia de cette même voix toujours triste et plaintive, je dormais tout à l’heure et il me semblait être éveillée… Je voyais Charley Kinraid aussi nettement que je te vois, et je le voyais vivant encore… Je suis sûre à présent qu’il n’est pas noyé… Que faire, grand Dieu, que faire ? »

Elle tordait ses mains dans une angoisse fiévreuse. Excité à parler par des sentiments divers, que dominait le désir d’apaiser immédiatement cette agitation si nuisible à Sylvia, — et d’ailleurs sachant à peine ce qu’il disait :

« Kinraid est mort, s’écria Philip… Combien de fois faut-il vous le dire ?… Quelle femme êtes-vous donc pour rêver ainsi d’un autre homme, pour lui rester si attachée, lorsque vous êtes mariée à un autre et que cet autre est le père de votre enfant ? »

L’instant d’après, il aurait voulu se couper la langue avec les dents. Elle le regardait, en effet, avec ces muets reproches que certains de nous ont vus (Dieu leur vienne en aide !) dans les yeux des morts alors que de tristes souvenirs évoquaient leur image pendant les heures ténébreuses ; elle le regarda ainsi, sans un mot de