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prendre sur elle, si intimidée que la trouvât une pareille invitation, d’accepter d’eux un solennel dîner de noces à l’issue duquel Jeremy s’engagea, pour lui et son frère, à la protéger contre son mari si jamais elle en avait besoin. Cette promesse, faite en riant, acceptée de même — et qui dans ce moment charma Philip, — devait être tenue plus tard et dans de bien graves circonstances. Il n’est pas rare de voir ainsi des paroles jetées en l’air, et qui semblent vouées à un éternel oubli, former plus tard des liens sérieux et sacrés.

Un an ne s’était pas écoulé, que Philip en était venu à jalouser quelque peu l’affection de sa femme pour Hester. Il y avait là, craignait-il, le germe d’une confiance plus intime, plus absolue que celle dont il était l’objet de la part de Sylvia. Parfois, d’ailleurs, un soupçon lui traversait l’esprit, c’est que celle-ci, dans ses épanchements avec la jeune Méthodiste, lui parlait peut-être de l’homme qu’elle avait aimé jadis. — Rien de plus simple, pensait-il, puisqu’elle le croyait mort. — Cette idée, pourtant, l’irritait.

Du reste il se trompait, en ceci, du tout au tout. Malgré son apparente franchise, Sylvia gardait pour elle ses plus profonds chagrins ; jamais elle ne prononçait le nom de son père, bien qu’il fût sans cesse présent à sa pensée. Elle ne parlait pas davantage de Kinraid, bien que maintes fois, quand le hasard la mettait en face de quelque marin, elle lui adressât la parole d’une voix plus douce, en mémoire de celui qu’elle avait aimé. Il était d’ailleurs l’invisible compagnon de ces courses solitaires qu’elle faisait de temps en temps, — lasse de sa « vie de salon, » — sur les rochers qui près de Monkshaven dominent la mer. Jamais elle ne voulait être accompagnée de personne, pendant ces courtes excursions qui avaient à ses yeux le mérite du bonheur volé. Une