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mise lui semblaient plus fatigants que la fabrication du beurre ou l’entretien de l’étable. Le grand air lui manquait ; les amples horizons lui faisaient faute ; mais elle n’en restait pas moins calme et résignée. Trop calme, trop résignée, au gré de Philip. Il était contrarié de la trouver si uniformément docile, de ne lui voir jamais un de ces caprices qu’il eût été si heureux de satisfaire. En somme, pourtant, avec sa patience caractéristique, il s’accommodait de cette affection égale et tiède, si différente de l’ardent amour qu’il lui portait ; et il n’aurait pas eu trop à se plaindre s’il n’avait été hanté, dès cette époque, par les rêves les plus pénibles. Bien convaincu, durant les heures de veille, que Kinraid avait dû nécessairement périr dans quelque rencontre, il le revoyait vivant presque toutes les nuits ; et quand un réveil soudain l’arrachait à ces visions fiévreuses, quand il se redressait sur son séant, le cœur lui battait encore : il ne pouvait se soustraire à l’idée que Kinraid était là, dans les ténèbres, à quelques pas de lui, caché, menaçant. Son agitation parfois dérangeait Sylvia qui le questionnait alors sur ses rêves, ayant — comme l’avaient à cette époque les personnes de sa classe, — une foi implicite dans l’interprétation prophétique des songes. Il va de soi que Philip éludait toujours ces sortes d’entretiens, et ce n’était jamais sans mentir à sa conscience. Il la trompait quelquefois plus innocemment. Ce fut ainsi que — sans faire semblant de rien, et sur quelques vagues paroles qu’elle avait laissé tomber de ses lèvres, — il alla chercher à la ferme de Haytersbank l’honnête Kester qu’elle désirait revoir. Ce brave homme ne se rendit pas du premier coup ; il fallut une certaine diplomatie pour l’attirer à Monkshaven. Il y vint, cependant, à la grande joie de Sylvia qui lui demanda maint et maint détails sur les changements survenus dans cette résidence quittée à