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refuse pas !… Viens me dire si je n’ai rien oublié de ce qui peut plaire à Sylvia… »

Par un de ces sacrifices héroïques dont le monde méconnaît la grandeur, Hester voulut faire ce qui lui était demandé. Son abnégation alla plus loin, car à force de s’oublier elle-même, elle en vint à sympathiser avec ces préoccupations dont Philip était assiégé pour une autre qu’elle. Et quand, de l’aveu de Sylvia, il lui demanda de servir de bride’s maid à celle-ci, puis d’aller chercher Bell Robson et de passer auprès d’elle le reste de cette première journée, elle n’écarta que la première de ces deux requêtes.

« Non, Philip, je ne t’accompagnerai pas à l’église, lui répondit-elle en arrêtant sur son visage un regard loyal et grave… Tu ne dois pas insister là-dessus… Mais je me rendrai de bonne heure à la ferme de Haytersbank, et je ferai de mon mieux pour épargner à cette bonne vieille femme les chagrins du départ… Je suivrai de point en point les instructions que tu me donnes pour qu’elle soit rendue ici avant la chute du jour. »

Philip était tenté de la presser encore pour qu’elle voulût bien assister Sylvia pendant le service religieux ; mais il vit dans les yeux de la jeune fille, — aussi vague, aussi fugitif que l’impression d’un souffle léger sur un pur cristal, — un nuage, un trouble éphémère qui lui coupèrent la parole en éveillant chez lui, pour quelques secondes seulement, une idée qu’il s’empressa de bannir tant elle lui parut empreinte d’une fatuité ridicule. Il se la reprocha même, comme une insulte à Hester.

Ne voyant jamais Sylvia, n’ayant pour interpréter ses pensées que les souvenirs passionnés et triomphants de l’heureux Philip, Hester n’avait pu s’empêcher de concevoir quelques préventions contre cette jeune fille qu’elle supposait si prompte à oublier l’humiliation de sa famille, et à édifier si vite, sur la tombe de son malheureux père,