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« Vous avez raison, chère enfant ; je savais à quoi m’en tenir… Et Dieu me garde d’élever la voix contre un homme qui n’est plus !… Car il n’est plus, Kester a beau dire… Si je voulais, cependant…

— Oh ! non, non, s’écria Sylvia s’arrachant des bras de Philip… Pas un seul mot contre lui… Je suis décidée à n’y pas croire.

— Sois tranquille, dit Philip, je ne touche pas aux morts. »

Et cependant plus éclatait à ses yeux l’amour de Sylvia pour son ancien rival, plus il désirait ardemment la convaincre qu’elle l’avait à jamais perdu, et plus il s’efforçait aussi de pacifier par des mensonges sa conscience alarmée. Kinraid, sans doute, avait dû périr, exposé comme il l’était aux chances de la guerre ou de la tempête. Sinon, s’il vivait encore, son silence disait assez qu’il était mort pour Sylvia. On pouvait donc sans scrupule employer ce mot qui, s’il était faux dans un sens, n’exprimait en somme qu’une incontestable vérité.

« Penses-tu donc, reprit-il, que rien l’eût empêché, s’il vivait, d’écrire à quelqu’un des siens, en supposant même qu’il pût t’oublier ?… Et pourtant, pas un de ses parents de Newcastle ne le croit encore de ce monde.

— C’est bien là ce que dit Kester, » soupira Sylvia. Philip reprit courage. Il replaça doucement son bras autour de la jeune fille, et penché à son oreille, la supplia d’oublier celui qui n’était plus, pour songer à l’homme dont toute l’existence allait lui être consacrée. Sylvia l’écoutait sans répondre quand un faible cri, parti de la maison, vint lui fournir l’occasion de s’échapper :

« Ma mère a besoin de moi, » s’écria-t-elle bondissant hors de son siège rustique, et l’instant d’après elle avait disparu.

Philip, toujours assis près de la source, but à longs traits dans le creux de sa main quelques gorgées d’eau ;