Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses lèvres s’arrêtèrent à temps pour ne pas prononcer le mot fatal ; mais Sylvia n’en poussa pas moins un léger cri. Honteux de la douleur qu’il venait de lui infliger, il aurait voulu la prendre et la bercer dans ses bras, la consoler, l’apaiser comme une mère apaise son enfant qui pleure. Ce désir, qu’il ne pouvait satisfaire, redoublait en lui le sentiment de ses remords et l’espèce de rage à laquelle il était en proie. Tous deux restaient maintenant immobiles, Sylvia contemplant d’un œil triste le bouillonnement et les ressauts joyeux de l’eau babillarde, Philip arrêtant sur elle ses yeux hagards, et avide de l’entendre parler encore, dût sa première parole le frapper au cœur. — Mais elle n’ouvrit pas la bouche. Fatigué, à la longue, de ce silence intolérable :

« Il est donc vrai, Sylvia, que tu tiens toujours beaucoup à cet homme ? lui dit-il avec amertume. » Si celui qu’il appelait « cet homme » se fût trouvé là, dans ce moment, devant eux, Philip se serait jeté sur lui et ne l’aurait lâché qu’après la mort de l’un ou de l’autre. Sylvia comprit en partie le tourment secret que venait de trahir l’accent plaintif de cette question. Elle leva les yeux vers Philip.

« Je pensais, lui dit-elle, que vous saviez à quoi vous en tenir là-dessus. »

Son pâle visage, tandis qu’elle s’excusait ainsi, resplendissait de tant de candeur et d’innocence, sa voix altérée avait un si pathétique accent, que l’irritation de Philip, son mécontentement de lui-même et de toute chose au monde, fit subitement place à un élan de tendresse passionnée. Il sentit que cette femme devait être à lui, coûte que coûte ; et s’asseyant auprès d’elle, inspiré, — soufflé pour ainsi dire par un tentateur invisible, — il lui parla un langage aussi artificieux, aussi habile, que ses premières paroles avaient été maladroites et compromettantes.