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tié ?… De quoi donc suis-je coupable, après tout ? N’ai-je pas ma mère ?… Suis-je seule au monde ?

— Que de réponses pour une question bien simple, reprit Kester… Comment songez-vous à vous dépouiller de vos meubles ?

— Je vais, probablement, épouser Philip, répliqua Sylvia d’une voix tellement basse que si Kester n’eût pas pressenti la réponse, il ne l’aurait certainement pas entendue.

— De mieux en mieux, recommença-t-il… Vous voilà fort à votre aise, ta mère et toi… C’est égal, je ne t’aurais pas crue si prompte à oublier un pauvre garçon qui t’aimait comme la prunelle de ses yeux.

— Ah ! Kester, Kester ! s’écria-t-elle, tu me crois capable d’oublier Charley !… L’oublier !… Quand je le vois, toutes les nuits, gisant au fond de la mer… L’oublier… Tu en parles bien à ton aise, mon brave homme ! »

Il y avait tant d’agitation, tant de désespoir dans son accent que Kester lui-même en fut effrayé ; mais il fallut, malgré tout, qu’il la torturât encore.

« Au fond de la mer ? reprit-il… Et que sais-tu de positif là-dessus ?… Pourquoi, comme tant d’autres, n’aurait-il pas été enlevé par la presse ?

— Ah ! dit-elle en se jetant sur le foin, comme je voudrais mourir… et tout savoir ! »

Kester n’ajoutait plus rien. Alors elle se redressa brusquement, et le regardant au visage :

« Parle donc, parle !… Donne tes raisons, s’écria-t-elle… Je dois beaucoup à Philip… Il assure qu’il mourra s’il ne m’épouse… Je n’ai plus d’abri pour ma pauvre mère… Pour elle, entends-tu bien, car ce que je deviendrai, moi, m’importe peu… Mais si Charley est encore vivant, je ne saurais épouser Philip… Non, dût-il mourir, et ma mère se trouver sans ressources…