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— Mais ta mère, elle-même, crois-tu qu’elle quittera volontiers Haytersbank ? reprit l’impitoyable Kester.

— Que veux-tu que j’y fasse ?… Il faudrait au moins deux hommes pour tenir la ferme comme le veut M. Hall… D’ailleurs…

— Quoi, d’ailleurs ?… interrompit vivement Kester.

— La réponse est partie… C’est Philip qui l’a écrite hier soir… Inutile de revenir là-dessus… »

À ces mots, elle reprit sa fourche et remua énergiquement les tas de foin, tandis qu’à son insu des pleurs ruisselaient sur ses joues. Kester, à son tour, jeta sa fourche et, sans que d’abord elle y prît garde, s’achemina vers la barrière du champ… Elle courut après lui et le retint par le bras, sans parler.

« Plutôt que de vous voir chassées d’ici, recommença Kester, j’aurais pris le bail à mon compte… »

Puis, de nouveaux soupçons se faisant jour dans son esprit :

« Pourquoi donc, ajouta-t-il, ne m’a-t-on pas parlé de cette lettre !… Vous étiez, ce me semble, bien pressées.

— Nous avions congé de M. Hall pour le jour de la Saint-Jean… Et Philip s’était chargé de la réponse.

— À lui tout seul ? » demanda Kester.

Sylvia continua sans prendre garde à l’interruption.

« Le nouveau fermier se charge de tout le cheptel vivant… Il prend aussi l’outillage, et même, si cela convient à ma mère… si cela nous convient, tout le mobilier également.

— Le mobilier ! s’écria Kester stupéfait… Qu’allez-vous donc devenir, toi et ta mère, sans un lit pour vous étendre, sans une marmite pour cuire votre dîner ? »

Sylvia devint fort rouge, mais garda le silence.

« Vous voilà donc muette, à présent ?

— Qu’ai-je donc fait, Kester, pour perdre ton ami-